Conférence, 27-30 janvier 2014 :


L’Afrique est assurément le continent des paradoxes ! Certainement le mieux doté en ressources naturelles de la planète, le continent abrite les populations les pauvres du monde. Les statistiques établissent qu’en l’espace de 25 ans, la pauvreté a connu un net recul dans le monde sauf en Afrique subsaharienne où le nombre de pauvres continue d’augmenter. Elle est la seule région du monde où, en pourcentage, la pauvreté est à l’état stationnaire1. Pire, elle croît en valeur absolue. Aujourd’hui, 562 millions d’africains au sud du Sahara vivent avec moins de 2 dollars par jours.

Fondamentalement, ce paradoxe trouve son explication dans l’évolution post-coloniale historique du continent. Depuis les années 60 l’Afrique n’a cessé d’accumuler les contre-performances en matière de développement. Le bilan économique et social du premier cinquantenaire des indépendances est globalement désastreux pour la plupart des États africains. Depuis 2000 cependant, le continent africain connaît une croissance relativement forte mais qui cachent des réalités sociales atroces, des fragilités fondamentales ainsi que des vulnérabilités infrastructurelles et énergétiques criardes. Comme le souligne la CEA dans son rapport 2013, cette croissance ne s’est traduite ni par la diversification économique, ni par la création d’emplois en nombre conséquent, encore moins par un développement social large. En somme, elle corrobore la trajectoire chaotique du développement africain.

Au plan économique, les taux d’investissement sont depuis toujours inférieurs à la moyenne mondiale. Pire, ils ont drastiquement baissé dans les années 80 alors que les deux premières décennies d’indépendance avaient été marquées par des politiques volontaristes avec des efforts d’investissement relativement importants. Naturellement la courbe de la croissance a suivi les niveaux d’investissement, et s’est littéralement affaissée dans les années 80 et 90. Cependant, si les années 2000 marquent une reprise économique, il faut non seulement noter le retard du continent par rapport aux régions d’Asie, mais surtout, il faut déplorer le décrochage social de la croissance. Aujourd’hui, avec la deuxième plus forte moyenne de croissance, l’Afrique enregistre un revenu par tête d’habitant six fois inférieur au reste du monde2. Les vicissitudes économiques de l’Afrique contrastent d’avec les énormes potentialités, précisément d’avec les ressources naturelles et démographiques du continent. Les ressources naturelles sont l’objet d’une mal gouvernance, d’une pression interne et d’une concurrence exacerbée entre acteurs non africains alors que les ressources démographiques, particulièrement les jeunes, sont les premières couches touchées par les vagues d’émigration. Surtout les résultats économiques ont jusque-là été incapables d’apporter des changements qualitatifs substantiels dans les conditions de vie des populations africaines.

Au plan social, les effets des économies africaines sur le bien être des africains sont simplement mitigés. Il est vrai qu’en un demi-siècle, le taux de mortalité a été réduit de plus de la moitié sur le continent. Toutefois, l’Afrique détient la mortalité la plus élevée au monde. Le taux de mortalité infanto-juvénile se situe à des niveaux alarmants : sur mille enfants qui naissent en Afrique, 180 meurent avant l’âge de 5 ans, contre seulement 7 dans l’OCDE et 51 en Asie du Sud-est. L’espérance de vie est passée d’une moyenne de 45 à 54 ans entre 1965 et 2010 en Afrique subsaharienne. En 2010, le continent accuse un écart de 19 années d’espérance de vie par rapport à la moyenne mondiale. Les populations de l’OCDE vivent en moyenne un quart de siècle de plus que celles de l’Afrique subsaharienne. Quant aux taux de scolarisation au niveau secondaire, ils ont été quadruplés en 50 ans sur le continent, pour n’atteindre cependant que 40 % en 2011 contre 70 % au niveau mondial, 80 % et 90 % respectivement en Asie du Sud-est et dans la région Amérique Latine et Caraïbes

En somme, le bilan économique et social du demi-siècle est globalement en deçà des potentialités du continent. Il est en décalage manifeste avec les défis du continent confronté à la croissance démographique la plus rapide au monde, avec 7 à 10 millions de nouveaux arrivants sur le marché du travail chaque année.

L’Afrique fait le lit d’une pauvreté endémique qui a fini d’installer le désespoir et le reniement dans les populations africaines. Contrairement au reste de l’humanité qui pense aujourd’hui de bonne foi que l’Afrique est « l’avenir du monde », les africains désertent le continent au prix de leur dignité et de leur vie, convaincus que « l’avenir est ailleurs ».

Alors, l’Afrique est-elle condamnée au sous-développement ? Est-elle vouée à être un simple réservoir de ressources naturelles dont les puissances se disputent le contrôle, voire le pillage, en s’appuyant pour cela, de façon circonstancielle, sur les africains eux-mêmes ? La richesse africaine est-elle irrémédiablement vouée à l’accaparement et à l’appropriation privée par une minorité privilégiée, sans jamais profiter à la population tout entière ? Peut-on accepter cette fatalité illusoire ?

Il est commun d’expliquer la misère socio-économique africaine par la mise en coupe réglée du continent au service d’intérêts étrangers. A la vérité, les africains sont en grande partie responsables de la situation du continent. Il leur appartient dès lors de reprendre l’initiative pour la renaissance économique et sociale du continent.

Dans cette perspective, des expériences de réussite africaine existent, et peuvent être investies comme points d’appui pour le renouveau et la relance du développement africain. La puissance économique de l’Afrique du Sud, le modèle démocratique et économique exemplaire du Botswana notamment avec des ressources et rentes minières au service du progrès social, la refondation économique et sociale spectaculaire du Rwanda un laps de temps après le génocide, l’intelligence économique et les progrès fulgurants du Maroc qui positionnent aujourd’hui le Royaume comme un centre d’excellence et un pivot du développement de l’Europe et de l’Afrique, le dynamisme de l’économie tunisienne –malgré la crise politique et sociale qui traverse ce pays-, la valorisation chimique et industrielle des hydrocarbures en Algérie sont autant de trajectoires qui traduisent le possible africain et peuvent inspirer un continent souvent gagné par le manque de confiance, le pessimisme et le renoncement.

De telles expériences qui sont loin d’être exhaustives, démontrent que le paradigme d’une crise structurelle de l’Afrique n’est plus pertinent pour renseigner sur les dynamiques actuelles du continent. Celles-ci mettent en relief le fait qu’à côté de la crise de l’Afrique officielle, celle-là extravertie, émerge une Afrique qui se refait à travers divers espaces de refondation/reconstruction de l’État, de l’économie, de la société tant à l’échelle macro qu’à l’échelle micro. C’est tout le sens des initiatives innovatrices en termes de dynamiques de développement économique des territoires, de développement local, d’entrepreneuriat, des PME, des communautés…

Dans le fond, ce sont les fondements même de l’économie africaine qui sont en cause. Tributaires d’un modèle désastreux d’exploitation des ressources naturelles, extraverties et fortement dépendantes d’une conjoncture mondiale sur laquelle le continent n’a aucune prise, assises sur un mode de calcul désincarné qui n’intègre pas des pans essentiels de création de richesses, les dynamiques économiques africaines sont de surcroît cloisonnées, pilotées à vue et sans grande valeur ajoutée pour les populations. Dès lors, les statistiques récentes de la croissance ne doivent pas nourrir des illusions sur la qualité de ces dynamiques économiques, et cacher ainsi l’impératif de la reconstruction d’économies africaines endogènes, fortes et durables, d’une néo-économie africaine au service des besoins des peuples.

La conférence de 2013 s’inscrit dans cette entreprise de ré-interrogation des fondements des économies africaines. Elle ambitionne notamment de poser la nécessité pour l’Afrique de réinventer son économie, et surtout de définir et d’accompagner les initiatives qui y contribuent. A la lumière d’expériences concrètes, de réflexions africaines et du meilleur des trajectoires internationales sur l’évolution des systèmes économiques, la conférence vise à définir une conception africaine du développement durable. Il ne s’agit plus maintenant de se borner à imiter le modèle occidental de développement. Celui-ci, fondé sur l’exploitation de l’énergie et des ressources naturelles venant de toute la terre, n’est ni généralisable pour le monde entier ni durable pour lui-même. Il doit connaître une profonde mutation. L’Afrique ne doit pas rater ce nouveau rendez-vous avec l’histoire.

Pour réinventer l’économie africaine et réaliser son insertion appropriée dans le monde, et au-delà de l’impératif d’adosser la politique et la gestion économique aux valeurs et principes de gouvernance, la conférence abordera 15 propositions regroupées en 5 ateliers.

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