De par leurs impacts environnementaux et leur caractère non-renouvelable, les ressources naturelles ne sont pas un bien économique ordinaire. Elles constituent une dotation factorielle, un don de la nature qui ne tient ni de l’effort, ni du mérite de l’homme, à la différence des biens de consommation susceptibles de reproduction élargie, grâce à la combinaison productive des facteurs. Contrairement donc aux biens économiques ordinaires, qui peuvent se multiplier à l’infini en fonction du développement des techniques et des savoir-faire, les ressources naturelles sont en quantité finie.
Ces caractéristiques particulières des ressources naturelles doivent donc donner naissance à des régimes de gouvernance eux-mêmes particuliers, posant l’impératif de justice dans la répartition des bénéfices, la question de leur exploitation par des entreprises « autochtones », associant les communautés locales à leur exploitation aussi bien en termes de ressources et de protection de l’environnement qu’en termes d’apprentissage pour le futur. Pour mettre en place ces régimes de gouvernance, il faut s’appuyer sur une opinion publique africaine et internationale de plus en plus révoltée par la pratique d’opérateurs économiques sans scrupule, revendiquer une traçabilité de toutes les ressources exploitées et de l’usage qui en est fait.
Dès lors, l’exploitation des abondantes ressources naturelles de l’Afrique doit être soumise, dans un double souci de durabilité et d’équité commerciale, à un corpus de règles de droit consensuelles, définies et contrôlées par l’Afrique, avec l’adhésion de la communauté internationale.
On a souvent présenté l’Afrique comme un continent sous peuplé et qui disposait de ressources suffisamment abondantes en matière foncière. Pourtant, les terres véritablement cultivables se raréfient au moment où les famines et crises alimentaires sont devenues endémiques, et menacent la paix sociale et la stabilité politique comme lors des « émeutes de la faim » des années 2000. L’Afrique est le dernier continent qui connaît une véritable explosion démographique accompagnée d’une sous-valorisation notoire du foncier sous toutes ses formes. Il est le seul continent qui se complaît dans le mimétisme institutionnel et normatif, mettant ainsi à mal les mécanismes traditionnels de régulation foncière1 caractérisés par la grande subtilité et la diversité des droits d’usage qui s’attachaient à ce bien fondamental dans les sociétés agricoles.
La plupart du temps, les régimes traditionnel et moderne de gestion du foncier se juxtaposent et se contredisent. Les conflits entre agriculteurs et éleveurs s’amplifient dans de nombreuses régions d’Afrique et viennent alimenter des affrontements sanglants. Plus récemment, la faiblesse politique et économique de l’Afrique en a fait une proie tentante pour des pays tiers et des entreprises étrangères, prêts à acquérir de grandes portions de territoire pour les mettre directement en valeur, et pour répondre ainsi aux besoins de leur économie et de leur positionnement géo-stratégique. Ce phénomène est venu réveiller le spectre d’une « recolonisation de l’Afrique ». Enfin, dans un certain nombre de pays africains, la concurrence entre pauvres et riches pour le contrôle d’un foncier devenu trop rare est le substrat économique de conflits sociaux.
La gouvernance du foncier et sa sécurisation constituent, par conséquent, une dimension majeure de la gouvernance en Afrique, et un réel défi pour le développement du continent et la sécurité alimentaire des populations. Il urge alors d’énoncer les régimes de gouvernance les mieux adaptés au foncier urbain et rural, notamment en examinant un ensemble de démarches innovantes qui pourront combiner la pertinence du droit coutumier et les exigences du droit moderne.
Comme partout dans le monde, l’eau est aussi en Afrique un bien précieux qui se raréfie du fait de sa consommation croissante et des menaces qui pèsent sur la ressource, mais aussi en raison des difficultés réelles des populations surtout rurales à accéder à ce bien naturel. Fondement stratégique du développement africain, l’agriculture est confrontée à la disponibilité permanente et suffisante de l’eau, tributaire qu’elle est de la pluie.
En outre, les zones littorales et les eaux maritimes africaines posent des questions difficiles de surpêche, de dégradation des milieux, de concurrence entre les pêcheurs artisanaux, qui font vivre des secteurs entiers de la population, et des flottes industrielles étrangères, qui rapportent des devises à l’Etat.
Il existe pourtant une vaste expérience de la gestion de l’eau tant en Afrique que dans le reste du monde car cette gestion est pour ainsi dire à l’origine même de la gouvernance et de l’Etat. Il suffit de penser à l’Egypte ancienne pour s’en convaincre. Tout le monde parle au plan international de « gestion intégrée de l’eau » mais la plupart du temps, en Afrique et ailleurs, cela reste un slogan. Les difficultés pour y parvenir sont en effet nombreuses.
L’eau est donc un autre bien naturel appelant à l’invention de régimes de gouvernance adaptés. Il faut à cet effet une bonne articulation des niveaux de gouvernance, depuis le quartier ou le village, jusqu’au bassin fluvial transfrontalier, une capacité de coopération entre différentes administrations - celles qui gèrent l’infrastructure, celles qui gèrent le traitement, celles qui gèrent l’usage, celles qui gèrent l’hygiène et la santé, celles qui gèrent l’éducation, etc.-, des mécanismes à la fois justes et efficaces de répartition des usages de l’eau - entre éleveurs et agriculteurs, entre villes et campagnes, entre agriculture et usages domestiques, entre besoins économiques et besoins de vie quotidienne, etc. –
Il n’y a pas non plus de bonne gestion de l’eau sans l’association des différents types d’usagers, pas de bonne gestion des écosystèmes littoraux sans participation des communautés de pêcheurs. Mais toute cette riche complexité de la gouvernance de l’eau a été trop souvent en Afrique niée par des principes dogmatiques comme la privatisation des services publics de l’eau et sa réduction à un simple bien de consommation. Or la gestion de l’eau doit relever d’un double principe de justice sociale et d’efficacité. Il importe donc de passer en revue les expériences qui se rapprochent le mieux de cette gestion intégrée et équitable de l’eau, pour dégager un certain nombre de principes communs.
L’économie africaine vivra et apportera des réponses pertinentes aux aspirations des africains d’abord si les secteurs stratégiques de l’agriculture et de l’industrie sont connectés dans une vision de développement des filières agroalimentaires. L’Afrique est directement confrontée à ce défi à travers les questions de sécurité alimentaire, de politique agricole, de régulation de production, de commerce international. C’est un enjeu politique majeur pour une économie africaine vertueuse, verte et vivificatrice. Malgré un fort potentiel d’autonomisation économique et sociale du continent, ce secteur est confronté à un déficit de vision, mais aussi au manque d’équipements et de maîtrise de la qualité, aux difficultés de financement et de formation.
L’Afrique parle beaucoup de développement durable mais sans se donner véritablement les moyens d’en faire plus qu’un slogan. Ceci tient en particulier à l’organisation même de l’économie de rente. Résolument tournée vers l’extérieur, elle privilégie les exportations de matières premières, et de plus en plus l’implantation d’entreprises étrangères sans aucune considération pour le triptyque économie, social et environnement.
L’accompagnement du développement des filières agroalimentaires est donc une condition du développement durable de l’Afrique. Or, seules des filières durables, économes en énergie et en matières premières, assurant une répartition équitable de la valeur ajoutée tirée de toute la chaîne, respectueuses de l’environnement à chaque étape de la production et de l’échange, peuvent permettre d’aboutir à des sociétés durables. L’Afrique se doit donc de conceptualiser et de construire des filières durables d’examiner les politiques agricoles africaines, l’impact du commerce international, l’évolution des régimes préférentiels avec les pays occidentaux et d’énoncer les grandes lignes de filières agroalimentaires durables.