Atelier :


Aujourd’hui, les réflexions sur le devenir du continent africain et sa place dans le monde insistent à la fois sur les processus de marginalisation qui résultent des modes actuels d’insertion dans l’économie mondiale et sur la nécessité d’y mettre un terme. Si cela est une préoccupation légitime, il reste que l’on doit d’abord et davantage insister sur l’état de pauvreté endémique des populations africaines et l’urgence d’y apporter une réponse pérenne. Tout compte fait, le défi principal consiste dans le passage d’une « Afrique, simple réservoir de ressources naturelles » pour les puissances et entreprises étrangère à une « Afrique créatrice de valeurs ajoutées » grâce à la production soutenue du secteur public, du secteur privé et des diverses organisations du continent. Le processus d’industrialisation offre l’opportunité d’un tel sursaut économique.

Dans cette entreprise, le continent est interpellé par le renouvellement de la pensée sur le secteur public comme agent économique, comme moteur d’une croissance territorialement équilibrée et socialement inclusive, mais aussi sur le rôle irremplaçable de l’initiative privée africaine dans le développement endogène. L’Afrique devra également porter une attention particulière au rôle complémentaire du marché et de la gouvernance. En effet, le marché est devenu, au fil des siècles, l’instance dominante des sociétés modernes, et imprime son mouvement à tous les autres domaines, notamment éthique, politique, social, culturel. Les progrès des sciences et des techniques ont donné à cette évolution une considérable accélération au point que dans les faits, les sociétés et les instances en charge des régulations nécessaires pour « vivre ensemble » et pour « vivre avec notre planète » sont de plus en plus impuissantes à jouer leur rôle.

Dès lors, pour exister et compter l’Afrique devra inventer ou découvrir un processus d’industrialisation adossé à des modes de gouvernance appropriés et efficaces par rapport aux défis contemporains du XXIe siècle. La pertinence de ces nouveaux modes de gouvernance se mesurera par leur compatibilité avec la gestion collective des ressources partagées et des biens d’utilité collective, la régulation des relations entre l’homme et son milieu, la satisfaction des besoins immatériels, et l’encouragement des échanges des biens partageables au sein du continent et avec le reste de la planète.

Il faut alors définir une vision porteuse de l’industrie africaine, avec des règles communes dont l’élaboration, le contrôle et le respect seront un domaine majeur de la gouvernance, au niveau local, national, continental et mondial.

Il ne peut exister de développement économique en général et de développement industriel en particulier, sans une classe d’ « entrepreneurs » rompus aux pratiques managériales les plus avancées, capables d’identifier les opportunités, d’optimiser l’usage des ressources et des talents, de prendre leur place dans la production de richesses nationales et de se positionner avantageusement dans la concurrence internationale. La performance des entités économiques, publiques comme privées, n’est pas le seul fait de principes abstraits de management universellement convenus. Elle dépend dans une large mesure des efforts qui seront entrepris en matière de valorisation des ressources humaines du continent.

Quel que soit donc le statut - public, privé ou coopératif - des acteurs économiques la gestion de ces entités économiques ne relève pas de règles abstraites internationales applicables à toutes les situations comme peut parfois le laisser penser une présumée « science du management ». La gestion de cette communauté particulière que constituent les personnes impliquées dans une même entité économique n’est pas étrangère à la manière dont se gère le reste de la société.

Il convient alors de faire le point des ressources existantes dans ce domaine dans l’enseignement africain, du primaire au supérieur, d’examiner si, au delà de la diversité des sociétés africaines, on peut parler d’un modèle africain du management et de définir une stratégie de développement de l’esprit d’initiative et d’entreprise.

Les entreprises étrangères sont omniprésentes sur le continent africain. A la vérité, leur présence a parfois boosté la croissance sans impacter de manière significative le développement du continent. Au contraire, dans une logique de prédation, elles se livrent très souvent à l’accaparement des ressources naturelles, à la spoliation des sociétés africaines, à l’exploitation des travailleurs, et in fine à l’appauvrissement de l’Afrique. Moteur de la perversion des dynamiques économiques africaines, les entreprises étrangères développent des modus operandi qui contribuent principalement à destructurer les économies africaines, à effriter les bases sociales de la croissance et à l’évasion des devises, et à affaiblir le secteur privé local et l’État.

A tout le moins, cette présence massive d’entreprises étrangères n’a pas été une opportunité pour l’Afrique d’acquérir plus rapidement les connaissances technologiques, les savoir-faire, les capitaux et les circuits de commercialisation internationaux qui lui manquent cruellement.

Il est vrai que des points de vue contrastés existent sur le rôle des entreprises étrangères dans le développement. L’expérience internationale montre pourtant que la question ne se pose pas dans l’absolu. Tout dépend de l’usage qui est fait des entreprises et des capitaux étrangers, et donc de la vision et des règles du partenariat qui les lie à l’Afrique.

Ainsi, pour ne prendre que les deux exemples de développement les plus importants du monde, la Chine s’est développée à une vitesse vertigineuse en s’appuyant au départ sur le partenariat avec des entreprises étrangères pour faire exploser ses exportations ; alors que l’Inde se développe plus lentement mais en s’appuyant essentiellement sur des entreprises nationales. Laquelle des deux approches convient pour l’Afrique ? Existe t-il une voie spécifiquement africaine ? La question mérite réflexion.

En tout état de cause, l’Afrique ne doit pas - et ne peut pas - tourner le dos à la coopération avec les entreprises étrangères. Encore faudrait-il définir de nouvelles règles pour qu’elles agissent au mieux de l’intérêt commun, pour que le partenariat assure des avantages équilibrés aux parties en présence, mais surtout pour qu’il soit en adéquation avec les impératifs de réinvention de l’économie africaine.