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« L’Afrique est riche, mais les Africains sont pauvres ». Le continent offre, en effet, le spectacle d’un continent morcelé et pauvre où les États ont révélé leur incapacité et leurs limites à produire le développement et assurer une répartition territorialement et socialement équitable de ses fruits. Ce paradoxe se reflète dans la qualité de la ressource humaine et le faible leadership des africains. En dehors de quelques rares pays qui ont fait de la formation et, plus généralement, du développement humain une priorité, l’Afrique ne dispose pas de suffisamment de ressources humaines compétitives au plan international.

L’un des problèmes lancinants que rencontre l’Afrique est celui de la démission de ses intellectuels, au moment où leur rôle d’intermédiation entre les dirigeants et les masses est crucial, comme le suggère l’expérience latino-américaine des grandes mutations sociales à l’avant-garde desquelles se trouve l’intelligentsia. Ce qui manque fondamentalement, c’est un leadership africain ambitieux et qui prend la responsabilité de la conduite du changement.

Le continent doit aujourd’hui retrouver son projet de développement et promouvoir un leadership africain crédible et agile, marquant de son empreinte les politiques africaines et les négociations internationales. A l’image des entreprises agiles, qui font preuve d’intelligence en décelant à temps les opportunités et les menaces, l’Afrique a besoin d’Etats stratèges, en état de veille permanente et suffisamment agiles qui réfléchir et agir dans la complexité.

Seuls des investissements massifs dans le capital humain autorisent un tel espoir et permettent au continent de se doter des ressources humaines capables de le hisser au niveau des défis imposés par la dure compétition autour de la maitrise du savoir et qui concernent aussi bien les firmes que les nations. Le leadership ambitionné ne peut venir que de l’intelligentsia africaine, qui manie les nouveaux concepts et parle le nouveau langage. L’Afrique doit, par ailleurs, s’approprier les nouveaux savoir-faire et gagner en intelligence décisionnelle. Les africains ne peuvent se suffire de schémas d’analyse élémentaires, devenus inopérant face à la complexité du monde d’aujourd’hui et plus encore de celui de demain. Ils doivent prendre la mesure des changements en cours, construire et consolider une économie du savoir pour permettre à l’Afrique d’occuper la place qui lui revient dans les échanges mondiaux. La responsabilité première en incombe à l’université africaine.

En Afrique, la faiblesse de la création de richesse et le poids écrasant de l’endettement font que la place de l’aide financière et technique internationale est déterminante dans la définition et la mise en œuvre des politiques de développement. Les dirigeants africains se sentent ainsi plus obligés à l’égard des bailleurs de fonds que vis-à-vis de leurs propres citoyens. Les revues des partenaires au développement et le cycle des subventions, des prêts, des annulations de dettes et de leurs conditionnalités rythment la gestion publique dans la plupart des pays. Le poids de l’assistance extérieure dans les budgets publics des pays et les enjeux qui lui sont liés retirent en fait toute initiative autonome aux dirigeants des gouvernements africains.

La coopération au développement, construite sur la logique actuelle, déresponsabilise l’Afrique. La coopération internationale est elle-même en crise. Non seulement les moyens disponibles sont en baisse, mais aussi les objectifs et les modalités de l’aide sont contestés. C’est le symptôme d’une inadéquation des stratégies de coopération ancienne avec la nouvelle donne de la mondialisation. Pire, elle crée l’illusion que le développement n’est possible qu’à travers les actions de l’Etat et ses appuis de l’extérieur. Or le développement d’une société implique un projet construit dans la durée et porté par les forces vives de cette société, mais le mode d’intervention sur le court terme, qui est la temporalité naturelle de l’aide, évince le long terme et favorise le divorce entre les sociétés africaines et leur destin. Les « bailleurs de fonds » n’apportent pas que des appuis financiers, ils font aussi des choix prescriptifs dans les domaines sensibles du « comment agir », d’où l’extraversion des modèles et des politiques préconisés. Or, le développement est avant tout de la responsabilité du pays concerné. Il devient donc urgent d’ouvrir le débat sur le renouvellement du cadre de partenariat entre l’Afrique et ses partenaires internationaux afin de lui donner un sens et le rendre plus efficace et plus pertinent. Certes, la généralisation de la coopération à travers l’appui budgétaire et la coopération décentralisée sont des premiers efforts dans le sens d’une plus grande responsabilisation des Etats et des collectivités locales quant à leurs propres choix, mais il faut aller plus loin.

Il faut redéfinir de nouveaux paradigmes pour redonner un sens à la coopération internationale pour le développement mais aussi une coopération bâtie sur la solidarité indispensable en vue de résoudre des problèmes communs à dimension mondiale tels le changement climatique, la circulation des personnes et des biens et la lutte contre les grandes pandémies. Il faut enfin, diversifier et explorer les opportunités de partenariat avec les différentes régions du monde pour une présence africaine plus élargie et plus décisive.

Depuis leur accession à la souveraineté, les Etats africains, dans leur ensemble, n’ont pas réussi à se positionner et à s’impliquer de manière significative dans la conduite des affaires au niveau international et mondial. Pour réagir à cet échec et prendre place dans le concert des nations, ils sont tenus d’impulser un réelle dynamique d’intégration, pour atteindre la masse critique, qui leur permet de peser sur la marche du monde.

Mieux se faire entendre sur la scène internationale, exige de l’Afrique d’accorder et de reconnaître plus de responsabilité politique aux grands ensembles. La compétition et la concurrence qu’apportent la libéralisation et la mondialisation, dans des économies de pénurie, sont porteuses, certes, de certains progrès, mais aussi de tensions, d’inégalités fortes, de relations sociales brutales, de différenciation sociale, de mobilité et généralement d’extraversion de l’économie nationale. Or, le marché régional constitue le plus fort gisement potentiel d’activités pour l’avenir. C’est aussi dans les perspectives démographiques régionales que peut s’inscrire l’essor des échanges régionaux sur le long terme. Le jeu des complémentarités régionales et la compétition sur les marchés nationaux constituent un puissant stimulant du développement de l’économie régionale. L’espace régional doit pouvoir offrir à des sociétés encore fragiles, un cadre maîtrisé d’échange de biens et services, d’harmonisation des politiques, de règlement des conflits et d’alliance stratégique face au reste du monde.

L’argumentaire principal pour l’intégration régionale dans le cadre de la mondialisation part aujourd’hui de l’analyse que le développement national, isolé est sans issue. Dans ce sens, il convient de s’accorder sur la nécessité de l’accélération du processus d’intégration intra-africain comme tremplin et comme vecteur de la mondialisation. Il existe, par ailleurs, des défis globaux face auxquels l’Afrique ne peut rester indifférente. Il s’agit notamment du débat sur le climat, l’eau, la déforestation, la sécurité. Tous défis qui doivent permettre à l’Afrique de se repositionner et d’être un interlocuteur crédible et incontournable du reste du monde, compte tenu notamment de ses ressources naturelles.